Sport individuel par excellence, la course à pied prend un virage à 180 degrés. Smartphone sur le biceps, le running se pratique désormais en groupe et encouragé par des applications mobiles dédiées.
« Il est terminé le temps où l’on restait traîner dans son canapé. Aujourd’hui, on bouge. C’est tellement bon de faire du sport ! » Jérôme El-Khoury, co-fondateur de Run2Meet surfe sur la vague du running. Et ne compte pas boire la tasse en si bon chemin. En un an et demi, son site de rencontres « réservé aux célibataires sportifs » a vu son nombre d’inscrits gonfler de manière exponentielle. Aujourd’hui, la start-up revendique 30 000 membres à l’aube du lancement de l’application mobile qui permettra de géolocaliser les sportifs de son quartier.
Quand on sait que neuf millions Français sont adeptes de la course à pied, on comprend pourquoi les jeunes entrepreneurs ont misé sur ce marché prometteur.
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« J’envoie mes scores à mes amis »
Comment expliquer un tel engouement pour ce sport où il suffit de mettre un pied devant l’autre, de la musique électro dans les oreilles ? Pour Patrick Mignon, sociologue du sport à l’Insep, la course est avant tout un loisir individuel : « Le running, c’est facile à pratiquer. Pas besoin de partenaires, une paire de baskets suffit ». Sauf qu’en 2016, le footing devient collectif. « Aujourd’hui, le sport se veut social. Entre collègues ou entre amis, c’est important de montrer qu’on se dépasse », précise l’expert.
Un enjeu compétitif ? Simon, pour qui parler de performances était impensable il y a encore quelques mois, reconnaît maintenant que ses entraînements deviennent de plus en plus intensifs, « mais toujours de façon raisonnable ». L’adrénaline aidant, cet Orléanais de 28 ans court deux à trois fois par semaine avec les membres de la communauté Jogg.in. Tous les jeudis depuis six mois, il rejoint une quarantaine d’autres runners : « Les séances sont gratuites et pour nous encourager à revenir, la start-up nous offre des bons de réduction dans les grands magasins de sport ».
Facebook et Instagram s’en mêlent
La stratégie marketing fonctionne. Lancée en novembre 2013, la société Jogg.in, et l’application du même nom, a tissé des partenariats avec Intersport et Bio’c’Bon qui offrent régulièrement le vestiaire et l’apéritif. Une manière de promouvoir leurs innovations « spéciales courses à pied » et d’établir une relation de confiance avec leurs nouveaux clients.
La jeune société propose sept sessions chaque jour sur l’ensemble du territoire. En deux ans, ces entraînements ont drainé 350 000 utilisateurs selon la chargée de communication Marion Chauviré. « Notre concept répond à une vraie demande : courir en groupe et de façon ludique. Surtout quand l’hiver approche, c’est difficile de persévérer. En fait, « runner », c’est du plaisir, du bien-être autour d’un objectif commun », synthétise-t-elle.
Jogg.in, à l’image de ses concurrentes, propose de partager ses performances sur Facebook ou Instagram. Selfies à l’appui. « Après chaque séance, j’envoie mes scores à mes amis. Je constate l’évolution de mes performances et celles des autres. C’est un moyen très motivant pour rechausser les baskets », poursuit Simon. Une communauté de sportifs est alors née. Pas toujours pour le meilleur : « Il est évident que les réseaux sociaux ont individualisé les pratiques sportives et accentué le narcissisme », souligne le sociologue Patrick Mignon.
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Les médecins sollicités davantage
Une pratique communautaire paradoxale, parfois poussée à l’extrême, que dénonce Thierry Maquet. Cet ancien sportif de haut niveau enseigne aujourd’hui à l’Université Paris-Est Créteil. « Les applications sur smartphone sont accessibles à tous. Et tout le monde fait n’importe quoi, par mimétisme ». Tendinites à répétition, brûlures du tendon d’Achille, les sportifs 2.0 consultent trop régulièrement leur médecin. Selon Thierry Maquet, les sites et les coachs virtuels ne tiennent pas compte des spécificités de chaque runner, souvent novice, qui se blesse facilement. « Les applications vous imposent des objectifs que vous ne pouvez pas toujours tenir, et c’est dangereux pour la santé. »
Pauline, 26 ans, en a récemment fait les frais. La jeune femme qui court depuis deux ans avec l’application Nike +, a participé à un défi lancé par la marque à la virgule. Challenge : courir 70 kilomètres dans la semaine. Une paire de chaussures à la clef. « J’ai gagné le cadeau mais le dimanche soir, j’étais vraiment au bout de mes forces… » Elle n’a pas souhaité partager cet effort avec des collègues de course : « Les séances collectives c’est sympa, mais on ne sait jamais sur qui on tombe ».
Simon lui, retrouve les runners de Jogg.in sur des semi-marathons le week-end. La vie privée n’en pâtit-elle pas ? « Ma copine court autant que moi, sourit-il. Si on se fait des reproches, ce n’est sûrement pas sur nos performances ! »